Avant tout, notons qu’il ne faut pas confondre la notion d’établissement belge avec celle d’établissement stable. En raison de la primauté du droit international, une société étrangère avec un établissement belge en vertu de l’article 229 du CIR92 mais sans établissement stable en vertu d’une CPDI ne sera pas imposée en Belgique (mais restera toutefois tenue d’accomplir certaines formalités telle que l’introduction d’une déclaration nihil).
Etablissement stable matériel
Sur base de l’article 5, §1 de la nouvelle CPDI franco-belge, une entreprise est réputée avoir un établissement stable en Belgique si elle y dispose d’une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle l’entreprise exerce tout ou partie de son activité.
L’instrument multilatéral international (« MLI »), entré en vigueur au 1er avril 2020 entre la Belgique et la France en ce qui concerne les impôts qui ne sont pas retenus à la source, avait déjà apporté plusieurs modifications à cette règle, principalement relative aux exceptions prévues par l’article 5, §4 et dont le champ d’application a été réduit : introduction d’une règle anti-fragmentation, renforcement du critère d’activité « préparatoire ou auxiliaire », etc.
Dès lors que le texte de l’actuel article 4 de la CPDI de 1964 était déjà aligné avec l’article 5 de la convention modèle OCDE, la nouvelle CPDI n’apportera par conséquent pas de modifications substantielles si ce n’est en ce qui concerne la durée en-dessous de laquelle un chantier de construction n’est pas considéré comme un établissement stable, qui passe de 6 à 9 mois (contre 12 mois prévus dans le modèle OCDE).
Il n’empêche que la crise de la Covid19 pourrait avoir un impact sur la gestion du risque d’établissements stable, particulièrement en raison de l’explosion du télétravail. En effet, la question se pose régulièrement de savoir si un bureau à domicile peut également être considéré comme une installation fixe. Selon la doctrine, la jurisprudence et les commentaires de l'OCDE (voy. les paragraphes 5.18 et 5.19), un bureau à domicile ne qualifie comme « installation fixe d’une entreprise » que si la majorité des critères ci-dessous sont remplis :
- Le salarié doit travailler dans son bureau à domicile suite à l’instruction/à la demande de l’employeur (à cet égard, il convient d’analyser le contrat de travail du salarié ainsi que toutes les circonstances de l’espèce) ;
- L'employeur prend totalement ou partiellement en charge les frais de location ou prend en charge une partie des dépenses du salarié encourus pour son bureau à domicile ;
- L'employeur a une certaine influence sur l'endroit où se trouve le bureau à domicile du salarié et/ou peut s’opposer à ce que le salarié déménage ;
- L'adresse ou le numéro de téléphone du bureau à domicile est indiqué sur les cartes de visite et/ou des réunions avec les clients sont organisées dans le bureau à domicile du salarié.
Il s’agit là de situations de plus en plus fréquentes en pratique, et qui nécessitent généralement une analyse in concreto pour pouvoir évaluer l’existence ou non d’un établissement stable matériel en Belgique. En effet, les critères susmentionnés constituent une première indication mais n’apportent à eux seuls aucune certitude sur la position qu’adoptera l’administration ou les cours et tribunaux.
Etablissement stable personnel
Quand bien même l’entreprise ne dispose pas dans en Belgique d’une installation fixe d’affaires, toute personne – autre qu'un agent indépendant agissant dans le cours normal de son activité – qui a et exerce habituellement, le pouvoir de conclure des contrats au nom d'une société non-résidente sera considérée comme constituant un établissement stable de cette société.
Pour définir cet « établissement stable personnel », l’article 4 de la Convention de 1964 lu en accord avec l’article 12 du MLI avait déjà été aligné à l'article 5 du modèle OCDE, si bien qu’aucun changement n’est adopté dans la nouvelle convention, qui reprend le texte du modèle OCDE.
Le MLI a en effet élargi le champ d'application de l’établissement stable personnel pour inclure également les situations dans lesquelles un agent joue habituellement le rôle principal conduisant à la conclusion de contrats qui sont ensuite conclus de manière routinière sans modification importante par l'entreprise. La Belgique et la France ont décidé d'appliquer cette interprétation, qui est dès lors d’application depuis le 1er avril 2020.
L'exigence selon laquelle un agent doit exercer « habituellement » un pouvoir de conclure des contrats reflète le principe sous-jacent selon lequel la présence qu'une entreprise maintient dans un autre État devrait être plus que transitoire pour avoir une présence imposable dans cet État. L'étendue et la fréquence de l'activité nécessaire pour conclure que l'agent exerce habituellement le pouvoir contractuel dépendra de la nature des contrats et de l'activité de l'entreprise. A cet égard, il n'existe pas de test de fréquence précis.
Enfin, si auparavant, la présence d’un agent indépendant agissant dans le cours normal de son activité n’était pas constitutif d’un établissement stable personnel, ceci doit être nuancé depuis l’entrée en vigueur du MLI. En effet, lorsqu’une personne agit exclusivement ou presque exclusivement pour le compte d’une ou de plusieurs entreprises auxquelles elle est étroitement liée, cette personne n’est plus considérée comme un agent indépendant.
Autrement dit, la « dépendance économique » est désormais reconnue et un agent (in)dépendant agissant exclusivement ou presque exclusivement pour une entreprise établie dans l’autre état est aujourd’hui de nature à constituer un établissement stable personnel dans cet état.
Ahmed El Jilali - Senior Associate (ahmed.eljilali@tiberghien.com)
Gauthier Bonte - Associate (gauthier.bonte@tiberghien.com)