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lundi, 15 novembre 2021

Non-déclaration d’une construction juridique : amende inconstitutionnelle

La Cour constitutionnelle a récemment décidé une nouvelle fois qu'une amende administrative est contraire à la Constitution, en ce que le tribunal civil ne peut pas l’assortir d’un sursis, alors que la juridiction pénale le peut. Ce nouvel arrêt traite de l'amende administrative prévue par l'article 445, § 2, CIR 1992 qui sanctionne la non-déclaration des constructions juridiques (Cour constitutionnelle, 14 octobre 2021, n° 143/2021 ; voyez déjà en bref Fisco. 2021, n° 1719, p. 14).

Les personnes physiques qui sont les fondateurs d'une 'construction juridique' ou qui reçoivent un avantage quelconque d'une telle construction doivent déclarer l'existence de la construction dans leur déclaration à l'impôt des personnes physiques (voyez l'art. 307, CIR 1992 qui prévoit une obligation similaire pour les personnes morales assujetties à l'impôt des personnes morales). En l'espèce, un contribuable avait omis de le faire, de sorte qu'une amende lui fut réclamée sur base de l'article 445, § 2, CIR 1992. Le contribuable s'y opposa et l'affaire fut finalement plaidée devant le tribunal de première instance de Marche-en-Famenne. Il invoquait une violation du principe d'égalité en ce que ni l’Administration fiscale ni les tribunaux ne disposent d’aucun pouvoir de réduction de l’amende, singulièrement en ce qui concerne l’octroi d’un 'sursis'. En effet, le juge avait constaté qu’aucune disposition ne l’autorisait à accorder au contrevenant le bénéfice du sursis et il décida de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle à ce propos.

Les amendes en matière de constructions juridiques sont de nature pénale

Pour toute infraction aux dispositions du code des impôts sur les revenus et des arrêtés pris pour son exécution, l'Administration peut réclamer une amende de 50 à 1.250 euros (art. 445, § 1, CIR 1992), compte tenu des échelles et des modalités d'application fixées par l'AR/CIR 1992 (art. 229/1 et s.). Par dérogation à cette disposition, l'article 445, § 2, CIR 1992 prévoit une amende fixe de 6.250 euros, si un contribuable a omis de déclarer une construction juridique dans sa déclaration fiscale. Par conséquent, aucune échelle ni aucune modalité particulière d'application de cette amende ne figurent dans l'AR/CIR 1992.

Outre le fait que cette amende est élevée et forfaitaire, elle est appliquée "par année et par construction juridique non mentionnée".

Par ailleurs, l'amende ne concerne que la violation de l'obligation de déclarer les constructions juridiques. Elle est donc distincte de l'éventuel accroissement d'impôt qui serait appliqué sur les revenus non déclarés provenant d'une telle construction juridique.

La Cour constitutionnelle confirme que les amendes administratives prévues par l’article 445, CIR 1992 “ont pour but de prévenir et de réprimer les infractions au CIR 1992 commises par les contribuables”. “Elles présentent dès lors principalement un caractère répressif” et sont de nature “pénale” au sens de l’article 6, CEDH (arrêt, n° B.3.1).

Seul le juge pénal peut accorder le bénéfice du sursis pour une amende

Si le prévenu est condamné par un tribunal correctionnel, le juge pénal peut accorder la suspension de la condamnation ou le sursis à l'exécution de la peine, en l'assortissant ou non de conditions spéciales de probation (loi du 29 juin 1964 “concernant la suspension, le sursis et la probation”, MB, 17 juillet 1964). Cette ‘individualisation des sanctions’ a pour objectif de réduire notamment les inconvénients inhérents à l’exécution des peines et de ne pas compromettre la réinsertion du condamné.

Cependant, le sursis, la suspension et la probation ne peuvent être prononcés que par la juridiction pénale. Or, c'est exactement là que se situe le problème.

Certes, un certain nombre de dispositions du code pénal ont également été déclarées applicables à des infractions fiscales (telles que visées aux art. 449 à 453 et à l'art. 456, CIR 1992; voyez art. 457, § 1, CIR 1992). Les décimes additionnels (régis par la loi du 5 mars 1952) sont également appliqués en matière fiscale (art. 457, § 2, CIR 1992). Mais le CIR 1992 ne se réfère pas à la loi du 29 juin 1964 concernant la suspension, le sursis et la probation, de sorte que le juge civil ne peut pas accorder le bénéfice du sursis à un contribuable.

La distinction n'est pas pertinente à la lumière de l'objectif du sursis

En principe, selon la Cour constitutionnelle, il n'y a violation du principe constitutionnel d'égalité que si deux catégories de personnes se trouvant dans des situations différentes sont traitées de manière identique, ou si deux catégories de personnes se trouvant dans des situations similaires sont traitées différemment, sans que cette différence de traitement réponde à une justification raisonnable et objective.

Par conséquent, la question qui se pose est de savoir si les sanctions administratives peuvent légitimement être distinguées des sanctions pénales, de sorte que les sanctions administratives ne devraient pas être soumises à tous les principes qui s'appliquent aux sanctions pénales, y compris le sursis de l'exécution de la peine (rappelons qu’en cas de 'sursis', une condamnation est prononcée, mais l'on 'sursoit' à l'exécution de la peine durant une période déterminée; si le délai vient à expirer sans qu'une nouvelle infraction ne soit commise, la peine encourue est abrogée).

Après avoir confirmé que les amendes administratives prévues à l'article 445, CIR 1992 sont de nature répressive et sont donc de nature pénale (voyez ci-dessus), la Cour constitutionnelle décide que l'amende fiscale en question (celle qui est due en cas de non-déclaration d'une construction juridique) peut éventuellement se distinguer des autres sanctions pénales visées au CIR 1992; la Cour évoque notamment “la formulation différente de l’exigence de l’élément moral” et “la possibilité de cumuler des amendes administratives”. Selon la Cour, s’il est vrai que de telles différences "peuvent" être pertinentes pour justifier "l’application de règles spécifiques dans certains domaines", "elles ne le sont pas dans celui qui fait l’objet de la question préjudicielle” : "en effet, qu’il soit accordé par le tribunal correctionnel ou par une autre juridiction, telle que le tribunal civil, le sursis peut inciter le condamné à s’amender, par la menace d’exécuter, s’il venait à récidiver, la condamnation au paiement d’une amende" (arrêt, n° B.4.).

Et la Cour de conclure que l'article 445, § 2, CIR 1992 (relatifs à l'amende spécifique pour défaut de déclaration de constructions juridiques) viole le principe constitutionnel d'égalité, lu en combinaison avec l'article 6, CEDH, “en ce qu’il ne permet pas au tribunal civil d’assortir d’un sursis l’amende qu’il prévoit”, alors que la juridiction pénale en a la possibilité.

Ce n'est pas la première fois

Ce n'est pas la première fois que la Cour constitutionnelle décide en ce sens. Ainsi, elle a déjà décidé de l'inconstitutionnalité d’amendes fiscales en matière de TVA pour la même raison (plus précisément, les amendes de l'art. 70, § 1, al. 1 et § 2, al. 1 et de l'art. 70, § 1bis, CTVA). Soulignons que la Cour a décidé également que la violation porte uniquement sur l'impossibilité d’accorder le sursis à l'exécution de la peine. Selon la Cour, l’impossibilité pour le juge fiscal d'accorder une suspension de la condamnation ne constitue pas une violation de la Constitution, l'octroi d'une 'suspension' n'étant "pas conciliable avec une procédure qui ne se déroule pas devant une juridiction pénale" (rappelons qu’en cas de ‘suspension du prononcé’, la décision est 'suspendue' pour une période déterminée; si l'accusé ne commet pas de nouvelle infraction durant cette période, il est normalement mis fin aux poursuites); (voyez notamment Cour constitutionnelle, 20 février 2020, n° 32/2020, voyez Fisco. 2020, n° 1653, p. 13).

La Cour a statué dans le même sens en ce qui concerne les accroissements d'impôt en cas de non-déclaration ou de déclaration incomplète ou inexacte visés à l'article 444, CIR 1992 (arrêt du 27 mars 2014, n° 55/2014 ; voyez Fisco. 2014, n° 1382, p. 1).

Des décisions similaires ont été prononcées dans le cadre de la sanction :

  • consistant au quintuple de la taxe éludée sur les appareils automatiques de divertissement conformément à l'article 89, CTAIR tel qu'applicable en Région wallonne (arrêt du 20 février 2020, n° 2020/29, TFR, 2020, n° 584, p. 567-570 et Fisco. 2020, n° 1653, p. 13),
  • consistant au doublement de la redevance radio-télé conformément à l'article 18 de la loi du 13 juillet 1987 tel qu'applicable à l'époque en Région wallonne (arrêt du 11 octobre 2018, n° 138/2018, TFR, 2020, n° 584, p. 567-570 et Fisco. 2019, n° 1603, p. 15).

Inconstitutionnalité partielle

Si, en réponse à une question préjudicielle, la Cour constitutionnelle constate qu'une norme juridique est inconstitutionnelle, la juridiction qui a posé la question peut en principe ne pas appliquer cette norme juridique conformément à l'article 159 de la Constitution.

Toutefois, dans l'arrêt commenté ici (comme dans d'autres arrêts similaires précités), la Cour constitutionnelle précise que “ce constat d’inconstitutionnalité partielle n’a toutefois pas pour conséquence que cette disposition ne pourrait plus, dans l’attente d’une intervention législative, être appliquée par les juridictions lorsque celles-ci constatent que les infractions sont établies, que le montant de l’amende n’est pas disproportionné à la gravité de l’infraction et qu’il n’y aurait pas eu lieu d’accorder un sursis même si cette mesure avait été prévue par la loi” (arrêt, n° B.5.2).

Concrètement, cela signifie que, dans ce cas, la juridiction peut encore confirmer la validité d'une amende réclamée sur base de l'article 445, § 2 CIR 1992, même si cette disposition a été déclarée inconstitutionnelle, dans les conditions exposées ci-dessus.

Notons que la Cour de cassation a précédemment décidé que si la juridiction veut confirmer l'application de la sanction administrative, elle doit toujours vérifier si un sursis peut être accordé, si cette mesure avait été prévue par la loi (Cass., 20 juin 2013, n° F.11.0007, voyez Fisco. 2013, n° 1351, p. 13).

Il est important de noter que la Cour de cassation ait précisé que la juridiction ne doit pas le vérifier d'office, cette vérification ne pouvant se faire qu'après que le contribuable a lui-même demandé le sursis (Cass., 13 novembre 2015, n° F.14.0119.F, Fisco. 2015, n° 1456, p. 17; voyez également Cass., 29 janvier 2016, F.14.0180.F, Fisco. 2016, n° 1480, p. 13).

Implications concrètes en l'espèce

Si, en l'espèce, le contribuable a demandé lui-même un sursis, le juge de Marche-en-Famenne doit examiner si l'infraction est établie, si l'amende est proportionnée et s'il y a lieu d'accorder un sursis si cette mesure avait été prévue par la loi. Dans l'affirmative, il ne pourra pas appliquer l'article 445, § 2, CIR 1992 et devra ainsi annuler l'amende administrative.

La Cour d'appel de Bruxelles avait déjà statué dans le même sens. A la suite de la demande du contribuable d'obtenir un 'sursis' pour un accroissement d'impôt de 10 % (réclamé conformément à l'art. 444, CIR 1992), la Cour a décidé d'annuler cet accroissement au motif de la violation du principe d'égalité, compte tenu de l'absence de mauvaise foi, du fait qu'il s'agissait d'une première infraction et du fait que le sursis aurait été accordé si cette mesure avait été prévue par la loi (Bruxelles, 6 novembre 2018, Fisco. 2019, n° 1600, p. 12).

La spécificité des amendes administratives pour non-déclaration des constructions juridiques réside dans leur montant forfaitaire (6.250 euros), par an et par construction juridique non déclarée. La loi ne laisse aucune place à la prise en compte des circonstances de fait. Contrairement aux autres amendes prévues à l'article 445, CIR 1992, aucune échelle n'a été fixée par le Roi. L'amende est la même pour une première infraction que pour une cinquième infraction, par exemple. La présence ou l'absence de mauvaise foi n'est pas non plus pertinente. On peut donc se demander si l'amende de 6.250 euros par construction juridique non déclarée n'est pas par définition disproportionnée, ce qui conduirait de toute façon à l'octroi d'un sursis si la juridiction en avait la possibilité légale.

Le temps est-il venu d’une initiative législative ?

La Cour constitutionnelle a ainsi décidé à plusieurs reprises que même lorsqu'une juridiction civile statue sur une sanction administrative, elle doit avoir la possibilité d'accorder un sursis. Une juridiction pénale dispose en effet de cette possibilité si le contribuable devait comparaître devant elle pour la même infraction. En d'autres termes, la mesure d'individualisation de la peine par l'octroi d'un 'sursis' devrait également s'appliquer lorsque le contribuable comparaît, pour la même infraction, devant une autre juridiction que le tribunal pénal.

La Cour constitutionnelle a également invité à plusieurs reprises le législateur, dans les mêmes termes subtils, à prévoir, pour la juridiction fiscale, la possibilité d'accorder un sursis pour les amendes administratives et les accroissements d'impôts. Peut-être serait-il temps de prendre enfin le taureau par les cornes ...

 

L’article précité a également été publié dans le Fiscologue, n°12, p. 10-12

Céline Van houte – Counsel (celine.vanhoute@tiberghien.com)

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