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lundi, 30 octobre 2023

Taxe Caïman 2.1, top ou flop ?

Gerd D. Goyvaerts

Gerd D. Goyvaerts

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Bruxelles, Anvers
Emilie Van Goidsenhoven

Emilie Van Goidsenhoven

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Bruxelles
Christophe Coudron

Christophe Coudron

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Griet Vanden Abeele

Griet Vanden Abeele

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Maryll Callari

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Stephanie Gabriel

Stephanie Gabriel

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Elke De Leeuw

Elke De Leeuw

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Anvers
Mariëlle Ruell

Mariëlle Ruell

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Anvers

Le projet de loi approuvé lors de la réunion du Conseil des ministres du vendredi 27 octobre 2023 propose toute une série de modifications à la taxe Caïman afin de s'assurer - selon ses propres termes - qu'un certain nombre de « lacunes » soient comblées. Selon l'avant-projet de loi, malgré le renforcement de la taxe Caïman 2.0, il subsiste un certain nombre de manquements dans la législation, d’après les autorités fiscales, que la Cour des comptes a également cités dans son récent rapport d'avril 2023. Cependant, certaines des nouvelles mesures soulèvent d'emblée des questions supplémentaires, car elles portent atteinte à la logique interne de la taxe Caïman. Il reste à voir si tout cela passera le test du Conseil d'État et éventuellement de la Cour constitutionnelle. En effet, cela rend la taxe Caïman encore plus illogique et arbitraire qu'auparavant. En outre, il est frappant de constater que le projet de loi est très unilatéralement « en faveur des autorités fiscales » et ne répond pas du tout aux nombreuses préoccupations du contribuable qui ont déjà été exprimées dans la doctrine en la matière.

 

Pro memorie:

La taxe Caïman trouve son origine dans la loi-programme du 10 août 2015[1] et a été immédiatement corrigée rétroactivement par la loi du 26 décembre 2015[2]. Par la suite, la loi-programme du 25 décembre 2017 a introduit toute une série d'ajustements à ce système, que nous avons baptisé « Taxe Caïman 2.0 ».[3]   En introduisant une taxation par transparence à l'impôt des personnes physiques et morales, les revenus perçus par l'intermédiaire des « constructions juridiques » sont attribués fiscalement aux « fondateurs » comme s'ils avaient eux-mêmes perçu directement ces revenus. La deuxième variante de la taxe Caïman réside dans l'imposition des distributions à un bénéficiaire, la distribution étant imposée comme un dividende, sauf s'il peut être démontré qu'elle est composée de revenus ayant déjà été imposés ou de capital apporté, et ce avec l'application de la règle dite d'antériorité.

Les modifications les plus importantes sont énumérées ci-dessous.

Constructions en chaîne

En résumé, jusqu'à présent, une « construction en chaîne » a été comprise comme un ensemble de constructions juridiques formées par une construction mère et toutes ses filiales. Il est essentiel que chacune des entités prises isolément soit qualifiée de construction juridique. Dans la mesure où une entité de la chaîne n'est pas qualifiée de construction juridique, la qualification de « construction en chaîne » n'est pas possible pour toutes les entités sous-jacentes.  En vertu de la réglementation actuellement en vigueur, les constructions en chaîne sont donc soumises à la taxe Caïman dans les cas où des constructions juridiques sont superposées. L'application de la taxe Caïman est par conséquent logiquement interrompue dans le cas où la chaîne est rompue par une entité qui ne qualifie pas de construction juridique. Le gouvernement y voit - à tort - une forme d'évasion, alors qu'il s'agit de la logique de la taxe elle-même.

La ‘solution’ actuellement proposée par le projet de loi consiste en l'extension du champ d'application de la définition de « fondateur » et en la suppression du terme « construction en chaîne » qui est remplacé par l'utilisation du terme « construction intermédiaire ». Alors que la disposition légale actuellement applicable de l'article 2, §1, 14°, quatrième tiret du CIR limite le champ d'application aux détenteurs « des droits juridiques des actions », ce projet de loi propose d'étendre le champ d'application à ceux « qui détiennent directement ou indirectement via une chaîne de constructions intermédiaires les droits juridiques ou économiques des actions ou parts ». Cela élargirait considérablement le champ d'application. En outre, l'utilisation du terme « construction intermédiaire » permet également de viser les chaînes de constructions juridiques dont toutes les entités ne sont pas des constructions juridiques en tant que telles.

Malgré la possibilité théorique d'introduire de telles mesures, la mise en œuvre concrète de celles-ci n'est pas réaliste. Comme l'ont déjà montré les discussions concernant le registre UBO, il n'est pas évident, voire souvent ‘impossible’, d'obtenir pour une personne physique des informations suffisantes auprès de la société dans laquelle il détient une participation afférant à par exemple une (sous) sous filiale quant à la manière dont cette entité est contrôlée, afin d'effectuer l'analyse fiscale requise d'un point de vue belge. En conséquence, la taxe Caïman deviendra tout simplement matériellement inapplicable dans de nombreux cas.

Le projet de loi souligne que, malgré l'extension du champ d'application susmentionnée, le système a encore ses limites. Il stipule notamment que l’imposition par transparence ne s'applique qu'aux constructions juridiques elles-mêmes et ne peut être appliquée aux constructions intermédiaires ‘normalement taxées’. Ceci est bien sûr assez évident, mais rend l'ensemble terriblement complexe, en particulier lorsque des distributions sont effectuées entre les constructions mères et (constructions) filiales. Il est également souligné que - malgré le large champ d'application des constructions intermédiaires - cela ne devrait pas signifier que les organismes d'investissement ou les sociétés cotées en bourse visées à l'article 2, §1, 13°/1, premier alinéa du CIR pourraient également qualifier de construction intermédiaire (en dehors du cas des fonds dédiés).

Enfin, l'article 5/1 du CIR est complété par de nouvelles règles visant à atténuer la taxation par transparence dans le cas où la construction juridique est détenue par le biais d'une structure intermédiaire, à savoir dans la mesure où le fondateur détient indirectement les droits juridiques ou économiques des actions de la construction juridique (qui est une filiale) par le biais d'une structure intermédiaire ou d'une chaîne de structures intermédiaires. Là encore, il s'agit de la logique même de la taxe, bien entendu.

Plus-values sur actions realisees

Afin d'éviter les situations Caïman ‘avantageuses’, les conditions d'application de l'article 21, premier alinéa, 12°, du CIR sont renforcées, en ne permettant désormais plus l'exonération, lors de leur distribution, des revenus qui sont exonérés conformément à leur régime fiscal belge (conformément au dicton « exemption vaut impôt »). Cela aurait pour effet, par exemple, qu’une plus-value réalisée sur des actions par une entité soumise à la taxe Caïman constituerait toujours un dividende imposable lors de sa distribution. C'est totalement illogique, bien sûr. À l'heure actuelle, une telle distribution - à juste titre - n'est pas un dividende et n'est donc pas imposable.[4]  On peut se demander si cette inégalité de traitement est compatible avec le principe d'égalité, ainsi qu'avec le droit à la libre circulation des capitaux et à la liberté d'établissement.

L’interaction de la transparence fiscale avec la distribution au cours de la même année civile

Selon le projet de loi, il y a actuellement une discussion sur l'interaction du régime de transparence tel que prévu à l'article 5/1, §1, alinéa 10 du CIR, et de la distribution à savoir quel moment prévaut : le moment de l'attribution à la construction juridique entraînant une imposition transparente, ou le moment de la distribution effective par la construction juridique (au cours de la même année civile). Le choix entre les deux moments est important d'un point de vue fiscal, en ce sens que, selon le moment choisi, certains revenus perçus par la construction juridique ne sont pas imposés, alors qu'ils seraient imposables en tant que dividendes en cas de distribution effective. Selon le nouveau projet de loi, l'article 5/1, §1 du CIR est modifié pour préciser que les revenus obtenus par le biais de la construction juridique sont toujours imposés de manière transparente, même s'ils sont redistribués au cours de la même année civile. Cette modification est également conforme aux décisions anticipées existantes sur ce point.

Il s'agit de la discussion plutôt technique de l'art. 5/1, §1, dixième alinéa du CIR qui a déjà été abordée en 2017 et qui refait surface. En effet, l'actuel article 5/1, §1, dixième alinéa du CIR se lit comme suit : « Le présent paragraphe n'est pas applicable aux revenus payés ou attribués par la construction juridique ». Il ressort de l'exposé accompagnant le projet de loi-programme du 25 décembre 2017 qu'une construction juridique est transparente dans le chef du fondateur en ce qui concerne les revenus perçus, mais qu'elle ne l'est pas en ce qui concerne les revenus distribués.[5]   En outre, l'exposé des motifs indique littéralement que l'article 5/1, §1, alinéa 10 du CIR vise à éviter que cet article 5/1, §1 du CIR ne soit invoqué pour contrer une qualification de dividendes des revenus distribués la même année par la construction juridique.[6] Toutefois, avec cette disposition particulière, le système perdait son caractère de transparence fiscale parfaite et l'on aboutissait (en convertissant la nature du revenu en dividende) à une forme de transparence fiscale imparfaite.[7]  Avec l'introduction de cette nouvelle précision, cette situation est donc atténuée et le système - en ce qui concerne ce point - conserve sa parfaite transparence, sans conversion de la nature du revenu. Attention, avec la modification de l'article 21, 1er alinéa, 12° du CIR, celle-ci sera toutefois complètement altérée.

Fonds dedie – actionnariat

Ce projet de loi propose de lutter contre « l’évitement » de l'actionnariat lié au sein d’un fonds dédié. En effet, selon la Cour des comptes, il arrive dans la pratique que des ‘hommes de pailles’ soient recrutés pour remplir la fonction de personne non liée/actionnaire - en leur donnant une participation minimale - afin de se soustraire à l'application de la taxe Caïman. Ainsi, une participation minimale de 50 % pour les personnes non liées est désormais prévue, complétée par un renversement de la charge de la preuve dans certaines situations. En effet, une présomption légale est établie dans le cas où le gestionnaire d’actifs du compartiment reçoit des instructions spécifiques de personnes détenant les droits de ce compartiment pour acheter ou vendre certains instruments financiers, ou dans le cas où il n'y a tout simplement aucun gestionnaire d'actifs indépendant. Ainsi, la taxe Caïman deviendrait également applicable dans ces cas.

Revenus résultant d’un transfert de siège vers la Belgique

L'article 5/1, §2 du CIR est modifié dans le projet de loi afin de clarifier les conséquences fiscales d'un transfert vers la Belgique. L'idée sous-jacente est de décourager le transfert de capitaux détenus dans une construction juridique vers une autre construction juridique et d'encourager le transfert de ces capitaux vers la Belgique. Afin de qualifier correctement les revenus qui deviennent alors imposables à la suite du transfert du siège d'une construction juridique ou du transfert de capitaux d'une construction juridique vers une autre construction juridique, cette partie de l'article 5/1, §2 du CIR est transférée dans un nouvel article 18, premier alinéa, 3°/1 du CIR, qui qualifie ces revenus de dividendes (fictifs).

Exit Tax

Une ‘exit tax’ est prévue lorsque le fondateur transfère son domicile fiscal à l'étranger. Pour en adoucir l'application (cf. article 5 de la directive ATAD), un paiement échelonné est prévu à l'article 413/1 du CIR. L'articulation cette nouvelle taxation avec le CIR dans son ensemble n'est pas mentionnée dans le projet de loi.

La règle du « 3 en 1 »

Afin d'éviter les « manipulations » consistant à attendre la période imposable au cours de laquelle la construction juridique perd sa qualification pour procéder à une distribution, le projet de loi propose que les règles spéciales applicables aux distributions effectuées par des constructions juridiques (c'est-à-dire les règles de l'article 18, premier alinéa, 3°  juncto article 21, premier alinéa, 12° juncto article 21, deuxième alinéa, du CIR) s'appliquent également aux distributions effectuées par des entités qui ont été qualifiées de constructions juridiques au cours d'au moins une des trois périodes imposables antérieures. Il s'agit donc d'une mesure anti-abus spécifique qui vise une situation dans laquelle la taxe Caïman ne s'appliquerait normalement pas. Il reste à voir comment cette règle complexe fonctionnera dans la pratique.

Exclusion de substance

Il est également proposé de renforcer et de réécrire l'exclusion dite de substance. Le fondateur peut toujours apporter la preuve que la construction juridique a une substance suffisante et qu'elle exerce donc une « activité économique » substantielle, soutenue par du personnel, de l'équipement, des actifs et des bâtiments. Afin d'éviter une interprétation trop large et ‘trop européenne’ (sic) de la notion d' « activité économique », le nouveau projet de loi en précise le sens. Concrètement, l'exercice d'une activité économique doit être compris comme l'offre de biens ou de services sur un marché donné. Par conséquent, les activités relatives à la gestion du patrimoine privé ou familial ne peuvent pas constituer une activité économique au sens de cette disposition.

Ensuite, l'activité économique doit également être substantielle, ce qui signifie qu'elle ne doit pas être un élément périphérique dans les activités globales de la construction juridique, mais qu'elle doit être une activité principale. Enfin, le concept présuppose également que l'activité économique s'appuie sur un ensemble de personnel, d'équipements, d'actifs et de bâtiments. Toutefois, il ne suffit pas de créer un minimum de substance en louant un bureau et en rémunérant un employé à temps partiel pour satisfaire à ce critère. L'ensemble du personnel, de l'équipement, des actifs et des bâtiments doit être crédible par rapport au chiffre d'affaires et à l'activité économique qui est censée être exercée.

Selon le projet de loi, le but n’est pas que cette exclusion de substance réécrite puisse être invoquée sans difficulté par toute construction juridique qui n'est pas une société boîte aux lettres pour la soustraire à la taxe Caïman. Il demeure donc nécessaire d'examiner si toutes les conditions susmentionnées sont remplies.

Pour inspirer la clarification susmentionnée, une clause similaire prévue dans les articles de la directive ATAD qui traitent de l'introduction d'une mesure relative aux CFC a été envisagée. Il est également fait référence à la jurisprudence de la Cour de justice dans l'affaire Cadbury Schweppes, régulièrement citée dans la littérature, qui est à l'origine de l'exclusion de substance initiale mais qui, selon le nouveau projet de loi, a évolué depuis lors. En effet, selon le nouveau projet de loi, la clause reprise dans la directive ATAD va au-delà du concept de 'montages purement artificiels', qui limite stricto sensu l'application des mesures relatives aux CFC aux sociétés dites « boîtes aux lettres ».

Extension de l'obligation de déclaration et annexe obligatoire à la déclaration

Selon le projet de loi, la déclaration des constructions juridiques devrait également être obligatoirement complétée par une annexe spécifique à la déclaration, afin de faciliter le suivi administratif et de faciliter le suivi du rendement budgétaire de la taxe Caïman. Le projet de loi prévoit que toutes les données qui doivent déjà être déclarées actuellement soient reprises dans l'annexe à la déclaration, que cette annexe mentionne également les revenus obtenus par chaque construction juridique séparément, ainsi que les dividendes visés à l'article 18, premier alinéa, 3° et 3°/1 du CIR, y compris ceux exonérés en application de l'article 21, premier alinéa, 12° du CIR.

Entrée en vigueur

Cette taxe Caïman 2.1 entrerait en vigueur pour les distributions effectuées à partir du 1er janvier 2024 d'une part et, d'autre part, pour les revenus obtenus par les constructions juridiques à partir de cette même date. Quant à l'annexe à la déclaration d'impôt, elle serait mise en place à partir de l’exercice d'imposition 2024.

 

Sous la bannière « Taxe Caïman 2.1 », la taxe Caïman fait l'objet d'une modification substantielle. Certaines des mesures proposées soulèvent de sérieuses questions quant à l'égalité de traitement et à la proportionnalité de la mesure. Il reste à voir quel sera l'avis initial du Conseil d'État.

Il va de soi que nous suivons cela de près pour vous et que nous vous tiendrons informés dès qu'il y aura des nouvelles/clarifications à ce sujet. A suivre !


[1] Loi Programme du 10 août 2015, MB 18 août 2015.

[2] Loi du 26 décembre 2015 relative aux mesures concernant le renforcement de la création d'emplois et du pouvoir d'achat, MB 30 décembre 2015, ed. 2.

[3] Loi Programme du 25 décembre 2017, MB 29 décembre 2017, ed. 1.

[4] Travaux parlementaires, Chambre 2014-2015, nr. 54-1125/009,46.

[5] Travaux parlementaires, Chambre 2017-18, 6 novembre 2017, Doc. 54-2746/001, p. 182.

[6] Travaux parlementaires, Chambres 2017-18, 6 novembre 2017, Doc. 54-2746/001, p.36.

[7] G.D. GOYVAERTS, “De kaaimantaks 2.0. Een kritische commentaar bij de aanpassing van de kaaimantaks door de wet van 25 december 2017”, TFR 2018, afl. 545, 653.

 
Gerd D. Goyvaerts

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