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vendredi, 15 janvier 2021

Le point de contact central deviendra-t-il un registre des fortunes déguisé ?

Gauthier Bonte

Maryll Callari

Yannick Cools

Le 30 décembre 2020 a été publié la première loi-programme du gouvernement De Croo.

A peine trois mois après la déclaration gouvernementale, nous constatons qu'un extrait discret de celle-ci, concernant la transmission au point de contact central (ci-après « PCC ») du solde des comptes bancaires belges, a déjà été transposé en droit belge (articles 18 à 22 de la loi-programme du 20 décembre 2020, Moniteur belge du 30 décembre 2020, p. 96077).

Pour le 31 janvier 2022 au plus tard, les établissements financiers doivent communiquer au PCC les soldes des comptes bancaires et de paiement, ainsi que les montants globalisés des comptes-titres et des valeurs de rachat des polices d'assurance-placement, pour les années 2020 et 2021. À la demande de la Banque Nationale de Belgique (ci-après « BNB »), ce délai peut être raccourci ou prolongé de 6 mois par Arrêté royal.

La base d'un registre des fortunes est donc devenue réalité.

Historique : la raison d'être et l’implémentation du PCC

La PCC a été créé en 2011 dans le cadre d'un assouplissement du secret bancaire belge.

Jusqu'au 1er juillet 2011, l'administration fiscale avait un accès restreint aux données bancaires, notamment en cas de soupçon de préparation ou d'existence d'un mécanisme de fraude auprès de la banque. Cela supposait également une complicité entre la banque et le client. Il n’était donc pratiquement jamais possible de recourir à cette éventualité.

A partir du 1er juillet 2011, deux nouvelles possibilités supplémentaires ont été octroyées à l'administration fiscale :

  1. Si elle a l'intention d'établir une taxation indiciaire ; et
  2. Dès qu'il y a des « indications » qu'un contribuable a éludé des impôts.

Dans ces deux situations, les autorités fiscales peuvent demander aux banques des informations sur le contribuable.

L'interdiction de principe d'obtenir des informations de la banque elle-même lors d'un contrôle fiscal afin de taxer les clients est donc maintenue, mais la banque peut, dans certaines situations et sous réserve du respect d'une procédure déterminée, être invitée, en tant que tiers, à fournir des informations financières sur un client.

Cette règle s'applique aussi bien aux enquêtes purement belges qu'aux questions formulées par des autorités fiscales étrangères sur base d'une convention relative à la double imposition ou d'une directive européenne / CRS.

Dans le cadre de cet assouplissement du secret bancaire fiscal, une réglementation a été adoptée pour créer le PCC. Les raisons de sa constitution étaient doubles :

  • Permettre à l’administration de trouver rapidement et facilement le numéro de compte d’un contribuable qui ne coopère pas ; à défaut, l'administration fiscale devrait contacter toutes les banques (environ 200), ce qui constitue en soi une énorme charge de travail ; et
  • Protéger la vie privée du contribuable ; par exemple, si un contribuable est client de 2 établissements bancaires, il est inacceptable, pour des raisons de protection de la vie privée, que les « 198 » autres banques aient également connaissance du fait que cette personne a un éventuel problème avec le fisc. Dès lors qu’une telle demande adressée à tous les établissements financiers du pays dévoile l'existence de soupçons sérieux – mais non prouvés – d'irrégularités fiscales dans le chef d'un contribuable, cela peut en effet être considéré comme une atteinte grave à la vie privée, à la crédibilité financière et à la réputation du contribuable.

Il était donc question à l'époque de créer une nouvelle base de données électronique, unique et commune à l'ensemble du secteur financier belge, qui permet de savoir précisément à quelle établissement financier l’on peut demander les informations fiscales relatives au contribuable concerné.

Le PCC a été établi en terrain neutre, à savoir auprès de la Banque Nationale de Belgique (« BNB ») (Article 322, § 3 du CIR92).

D’un point de vue fonctionnel, il s'agit d'une entité à part entière de la BNB, mais qui ne possède pas de personnalité juridique propre. En effet, une base de données a été créée au sein de la BNB, dans laquelle tous les numéros de compte et les noms de leurs titulaires peuvent être retrouvés.

Depuis 2015, les contribuables disposant d'un compte à l'étranger sont eux-mêmes tenus de communiquer le ou les numéro(s) de compte concerné(s), directement au PCC.

En 2018, le gouvernement précédent a décidé de sortir les règles relatives au PCC de la réglementation fiscale et de prévoir pour celui-ci un cadre législatif autonome. Il s'agit de la loi du 8 juillet 2018 portant organisation d’un point de contact central des comptes et contrats financiers et portant extension de l’accès au fichier central des avis de saisie, de délégation, de cession, de règlement collectif de dettes et de protêt.

Depuis un certain temps, l'accès au PCC n'était plus exclusivement réservé aux autorités fiscales. Entre temps, le ministère public, les juges d’instruction, la cellule de traitement des informations financières et même les notaires ont reçu le droit d’obtenir des informations auprès de celui-ci. Cette modification du cadre juridique a également été l’occasion de soumettre à l'obligation de déclaration d'autres établissements financiers belges, notamment les assureurs et les établissements de paiement. Depuis lors, l'existence de certaines assurances-vie des branches 21, 23, 25 ou 26 doit par exemple être déclarée. En outre, la location de coffres-forts a également été soumise à une obligation de déclaration.

Depuis cette modification de 2018, toute ouverture ou fermeture d'un compte bancaire ou d’un compte courant doit également être immédiatement communiquée, ainsi que toute modification des données (par exemple, l'octroi ou le retrait d'une procuration).

Jusqu'à présent, seuls les numéros de compte ou de contrat sont communiqués, contrairement au solde ou à la valeur de rachat.

La création d'un registre des fortunes est un fait

L’origine de cette récente modification en décembre 2020 se trouve dans le rapport des formateurs De Croo et Magnette du 30 septembre 2020. Plus précisément, on peut y lire (en page 44) : « Des mesures de transparence et de prévention sont prises. Néanmoins, la vie privée et les droits du contribuable doivent être respectés. Par conséquent, les soldes bancaires des numéros de comptes belges seront transférés au PCC ».

L'extension des informations à communiquer est prévue dans la loi du 8 juillet 2018 précitée. Plus précisément, l'obligation de communiquer au PCC le solde périodique des comptes bancaires et de paiement, ainsi que le montant globalisé d'un ensemble de certains contrats (contrats de gestion de patrimoine, certains contrats d'assurance-vie) est prévue (nouvel article 4 de la loi du 8 juillet 2018).

Un Arrêté royal délibéré en Conseil des ministres doit encore préciser certaines modalités, notamment la périodicité de la déclaration des soldes et des montants globalisés, ainsi que le montant minimum en dessous duquel les redevables d’information ne devront pas faire de déclaration au PCC (article 20, al. 1, 3) de la loi-programme du 20 décembre 2020).

À partir de 2022, l’état ou les soldes des comptes et des polices d'assurance-placement en Belgique seront donc connus via le PCC. Grâce à l'échange international de données (DAC2 ou CRS), les soldes des comptes de paiement et des comptes-titres étrangers des contribuables belges sont également échangés avec les autorités fiscales belges. Les biens immobiliers belges sont également connus par le biais du cadastre et les revenus immobiliers provenant de biens étrangers sont généralement échangés avec les autorités fiscales belges.

Big Brother is watching you

Officiellement, il est dit que ce nouvel échange d'informations facilitera une (éventuelle) enquête sur la fraude par les autorités fiscales ou les tribunaux. Aujourd'hui, lorsqu'il y a un soupçon de fraude, il est d’abord requis d'établir un mandat de perquisition afin de pouvoir consulter un solde bancaire. Cette étape sera supprimée. Par conséquent, lorsque les autorités fiscales consulteront la base de données du PCC en cas de suspicion de fraude, elles auront immédiatement accès au solde des comptes du contribuable en question, mais pas aux opérations effectuées sur ces comptes.

Bien que ces ajustements s’inscrivent donc officiellement dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et la fraude fiscale, il est à craindre que les informations du PCC soient bientôt utilisées à d'autres fins, et notamment en vue de nouvelles impositions (éventuellement par le biais d'une nouvelle modification législative).

Ce risque semble particulièrement réel à la lecture de l'avis n°122/2020 du 26 novembre 2020 de l'Autorité de Protection des Données (ci-après « APD », anciennement Commission de la vie privée) concernant cette modification des informations, lu en combinaison avec le passage suivant de l'exposé des motifs de cette loi : « Conformément à l’accord du gouvernement, la lutte contre la fraude est inscrite comme une priorité dans la mesure où la fraude sape le système fiscal. Particulièrement dans les conditions actuelles, avec la crise sanitaire due au COVID-19, toute personne se doit de contribuer au nécessaire financement de nos soins de santé et du plan de relance. (Nous soulignons) Compte tenu de cet objectif, une des mesures de transparence et de prévention proposées est, dans le cadre de la faculté existante pour l’administration fiscale de consulter le Point de contact central (PCC) d’élargir cette consultation aux données relatives au solde des comptes bancaires et de paiement et des contrats qui devront désormais être communiquées au PCC. » (Doc. 55 - 1662/001, p. 32).

L’APD remet vivement en question l'existence de tout lien avec la crise sanitaire actuelle, et souligne également faire remarquer, sans remettre en cause la gravité de la situation, que des événements passagers peuvent rarement justifier l’instauration de mesures permanentes (paragraphe 24 de l'avis).

En outre, elle estime que les justifications avancées - à savoir plus de transparence concernant les données du contribuable afin de garantir un système fiscal plus juste et l’augmentation de l'efficacité en matière de perception des dettes fiscales - sont formulées de manière trop vague (paragraphe 25 de l'avis).

Ni le projet de loi, ni l'exposé des motifs n’indiquent de quelle manière la communication du solde périodique des comptes bancaires et de paiement et du montant globalisé périodique, exprimé en euros, de certains contrats d'assurance contribuera concrètement à la réalisation des finalités susmentionnées (voir également le paragraphe 25 de l'avis).

En outre, l’établissement ou les établissements auprès desquels la personne concernée détient des comptes ou d'autres produits financiers peuvent déjà être identifiés en consultant le PCC. Dans le cadre de leur compétence d’enquête en la matière, les fonctionnaires en question peuvent toujours y consulter les informations dont ils ont besoin (paragraphe 26 de l'avis).

Elle conclut qu'il s'agit d'une « centralisation inutile, particulièrement importante et risquée de données (à caractère personnel) financières qui n’est pas proportionnée aux finalités poursuivies ».

Mais l'avis de l'Autorité de Protection des données n'étant pas contraignant, les partis du gouvernement l'ont tout simplement ignoré et sont allés de l'avant.

Ainsi le PCC peut devenir un registre des avoirs financiers déguisé. 

Peut-être est-ce là un premier pas discret de plan B dans l’hypothèse où la nouvelle taxe annuelle sur les comptes-titres serait contestée devant la Cour constitutionnelle.

Et en utilisant la technologie de blockchain, il est également possible d'établir un registre des investissements immobiliers avec indication de leurs valeurs locatives.

 

Dirk Coveliers - Counsel (dirk.coveliers@tiberghien.com)

Gauthier Bonte - Associate (gauthier.bonte@tiberghien.com)

Maryll Callari - Associate (maryll.callari@tiberghien.com)

Yannick Cools - Associate (yannick.cools@tiberghien.com)

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