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vendredi, 16 février 2024

Dispense de versement du précompte professionnel pour le travail en équipe : l’application uniquement pour un travail identique quant à son ampleur n’est pas inconstitutionnelle

Daan Buylaert

Daan Buylaert

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Kimberley De Plucker

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Gauthier Bonte

Gauthier Bonte

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Selon la Cour constitutionnelle, il n'est pas inconstitutionnel que la dispense du versement du précompte professionnel pour travail en équipe ne soit applicable  que si les équipes qui se succèdent font le même travail quant à son ampleur. Selon la Cour il n’est donc pas déraisonnable que les entreprises dans lesquelles l’ampleur du travail varie en fonction des heures de pointe et des heures creuses, et est donc comparable mais pas identique, ne puissent, selon cette interprétation, pas bénéficier de la dispense. Cette interprétation est beaucoup plus stricte que la pratique actuelle. Nous attendons désormais une position de l’administration fiscale pour l’avenir.

 

Le contexte

Les entreprises où le travail est effectué en au moins deux équipes d’au moins deux travailleurs, effectuant le même travail tant en termes d’objet que d’ampleur, ont droit, sous certaines conditions, à une dispense partielle du versement du précompte professionnel. Dans la pratique, la condition selon laquelle les équipes successives doivent effectuer le même travail en termes d’ampleur est très discutée. Selon la Cour d’appel d'Anvers, un champ d’application similaire est suffisant.

L’arrêt

Selon la Cour constitutionnelle, il n’est pas déraisonnable que (seules) les équipes effectuant le même travail en termes d’ampleur puissent bénéficier de la dispense, alors que cette lecture ne s’applique pas aux équipes effectuant un travail comparable en termes d’ampleur.

L’impact

Pour les entreprises dans lesquelles les équipes ne font pas un travail identique en termes d’ampleur, l’application de la dispense est devenue incertaine. Une position de l’administration fiscale est attendue.

De quoi s’agit-il ?

Les entreprises qui effectuent du travail en équipe peuvent bénéficier d’une dispense partielle du versement du précompte professionnel (voir art. 2755 du CIR 92). Pour l’application de cette dispense, ces entreprises sont définies comme : « les entreprises où le travail est effectué en au moins deux équipes comprenant au moins deux travailleurs, lesquelles font le même travail, tant en ce qui concerne son objet qu'en ce qui concerne son ampleur et qui se succèdent dans le courant de la journée sans qu'il y ait d'interruption entre les équipes successives, sans que le chevauchement excède un quart de leurs tâches journalières ». La loi du 28 mars 2022 portant réduction de charges sur le travail a ajouté que tous les travailleurs qui travaillent en équipe doivent recevoir une prime d’équipe.

En mars 2023, la Cour de cassation a posé deux questions préjudicielles sur l’interprétation de la condition « effectuer le même travail, (...) quant à son ampleur » suite à l’arrêt de la Cour d’appel d’Anvers concernant les patrouilleurs et les chauffeurs de bus. En substance, la Cour constitutionnelle est interrogée sur la constitutionnalité de l’article 2755  CIR 92, interprété en ce sens que seules les entreprises dans lesquelles les équipes effectuent (toujours) le même travail peuvent bénéficier de l’exonération, tandis que les entreprises dans lesquelles l’ampleur du travail varie et est comparable mais pas identique ne peuvent pas bénéficier de l'exonération. La question est de savoir si cette différence de traitement ne viole pas le principe d’égalité.

Quelle a été la décision de la Cour ?

Dans l’arrêt du 8 février 2024 (n° 21/2024), la Cour constitutionnelle se prononce sur les deux questions préjudicielles concernant la condition « lesquelles font le même travail en ce qui concerne son ampleur », dans la mesure où il en résulte que des équipes qui se succèdent doivent effectuer un travail identique en termes d’ampleur.

Premièrement, selon le Conseil des ministres dans l’affaire des patrouilleurs et des chauffeurs de bus, il n'y a pas d’équipes parce que le travail n’est pas effectué « conjointement » par les travailleurs. À cet égard, la Cour constitutionnelle a noté que la loi ne contient aucune prescription formelle quant à la question de savoir « si les travailleurs constituant l’équipe travaillent conjointement ou non ». La Cour note également que la Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur ce point. Par ailleurs, la Cour d’appel d’Anvers a explicitement statué dans les deux arrêts que la présence physique simultanée au même endroit n’est pas une condition pour pouvoir parler d’équipe.

Ensuite, la Cour examine la distinction présentée entre, d’une part, les entreprises où l’ampleur du travail des équipes est la même et, d’autre part, les entreprises où l’étendue du travail des équipes n’est pas la même mais est comparable :

  • La Cour note que les deux catégories d’entreprises sont comparables.
  • Selon la Cour, il existe un critère (de distinction) objectif pour l’application de la dispense, à savoir « le caractère identique ou non de l’ampleur du travail effectué par les équipes ».
  • Ensuite, la Cour examine l’objectif de la dispense. Il s’agit de compenser les frais supplémentaires liés au travail en équipe (sous la forme d’une prime d’équipe), mais aussi l’objectif plus général de « renforcer la compétitivité des entreprises qui recourent au travail en équipe ». La Cour va encore plus loin et examine également le contexte de la dispense, en particulier le fait que la dispense était destinée à éviter la délocalisation (notamment) de Ford Genk.
  • La Cour conclut que la dispense vise « principalement » le travail en équipe dans le secteur industriel, mais que son champ d’application n’est pas limité à ce secteur pour autant qu’il réponde aux critères généraux prévus par la loi. La Cour note que la loi ne précise pas sur base de quels critères il convient d’évaluer « l’ampleur » du travail et qu’il convient d’apprécier cette condition « en tenant compte de la nature concrète du travail effectué par les équipes ». Selon la Cour, l’exigence selon laquelle les équipes doivent faire « le même travail en ce qui concerne son ampleur » ne peut être réduite, dans le cadre d’une telle évaluation, à la fourniture du même travail par l’exécution de tâches rigides et routinières. Or, toutes les formes d’organisation du travail par équipes ne remplissent pas ces conditions.
  • Selon la Cour, l’exigence d’un « travail d’ampleur identique » est motivée par deux objectifs : premièrement, éviter que les employeurs ne réorientent leur organisation du travail vers un travail en équipe dans le seul but de bénéficier de la dispense ; deuxièmement, contenir le coût lié à cette mesure. Ces objectifs sont considérés comme légitimes et justifiés.

Le fait que (seules) les équipes effectuant un travail de même ampleur bénéficient de la dispense, alors que les équipes n’effectuant pas un travail de même ampleur mais d’ampleur comparable n’en bénéficient pas, n’est pas déraisonnable selon la Cour. Pour ce faire, la Cour constitutionnelle s’appuie sur le large pouvoir d’appréciation du législateur.

En quoi est-ce important ?

L’interprétation de l’article 2755 CIR 92 appréciée par la Cour est beaucoup plus stricte que ce qui a été accepté dans la pratique jusqu’à présent pour un « même » travail en ce qui concerne son ampleur.

Selon la Cour constitutionnelle, toute entreprise, quel que soit le secteur dans lequel elle opère, peut appliquer la dispense pour le travail en équipe si elle remplit les critères « généraux » prévus par la loi. Il est, selon la Cour, compatible avec la Constitution que l’un de ces critères soit que l’ampleur du travail effectué par les équipes soit identique. Il s’agit d’une approche très théorique qui ne tient pas compte de la réalité économique. En effet, dans la pratique, presque aucune entreprise ni aucun secteur ne répondra à cette condition interprétée de manière très stricte. Cela vaut aussi bien pour le travail à la chaîne dans le secteur industriel que pour les autres secteurs.

Et maintenant ?

Dans l’arrêt concernant les chauffeurs de bus, la Cour d’appel d’Anvers a estimé que l’ampleur du travail effectué par les équipes de chauffeurs de bus doit être comparable. Il appartient maintenant à la Cour de cassation de décider si la Cour a ou non appliqué la loi correctement, en tenant compte du fait que le texte légal exige « le même travail en ce qui concerne son ampleur » et que la Cour constitutionnelle a jugé que la lecture exigeant un travail identique est compatible avec la Constitution.

Selon la Cour constitutionnelle, il n’est pas déraisonnable que les entreprises dans lesquelles l’ampleur du travail des équipes est comparable mais pas identique ne puissent pas bénéficier de la dispense, de sorte que les arrêts contestés pourraient violer les conditions de l’article 2755  du CIR 92. Précédemment, l’avocat général de la Cour de cassation, dans l’affaire des chauffeurs de bus, a estimé qu'il n'était pas clair si les termes « effectuer le même travail en ce qui concerne son ampleur » permettaient une certaine marge d’interprétation factuelle et si le mot « même » devait être compris comme « identique »[1] . La Cour constitutionnelle précise que l’interprétation selon laquelle le terme « même » est effectivement interprété comme « identique » n’est pas inconstitutionnelle. Toutefois, l’avocat général lui-même a estimé qu'une interprétation aussi stricte ne tenait pas suffisamment compte de la réalité économique.

Il reste maintenant à voir ce que l’administration fiscale fera de l’interprétation particulièrement stricte retenue par la Cour constitutionnelle, non seulement en ce qui concerne l’ampleur du travail – qui a fait objet de l'arrêt – mais aussi en ce qui concerne son objet.


[1] Concl. RAVYSE, par Cass. 31 mars 2023, F.22.0026.N.

 
Daan Buylaert

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